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Affaire IBM MAIF : illustration navrante des méfaits de l’obligation de résultat

Le contrat d’intégration conclu entre IBM et MAIF à fin 2004 était un grand classique du genre : le maître d’œuvre (IBM) s’engage, sur la base d’une « obligation de résultat », à livrer à son client la MAIF une solution intégrée, conforme au périmètre convenu, selon un calendrier fixé et pour un prix ferme.

 Tous les ingrédients du dérapage de projet étaient en germe dès la signature du contrat, puisque le périmètre du projet n’était, en réalité pas arrêté dans le détail : grand classique du genre dans les projets complexes.

 De protocoles en discussions inabouties, les parties ne se mettent finalement pas d’accord sur un nouveau scénario et un nouveau prix et s’assignent mutuellement devant le TGI de Niort, l’une en règlement de ses factures et l‘autre en nullité du contrat pour réticence dolosive pendant la période précontractuelle et réparation du préjudice subi. La Maif obtient gain de cause par un jugement rendu le 14 décembre 2009, dont IBM, condamnée à régler plus de dix millions d’euros, interjette appel. La Cour d’Appel de Poitiers rend le 25 novembre 2011 un jugement en faveur d’IBM et condamnant la MAIF à verser quatre millions d’euros, dont la MAIF se pourvoit en cassation.

 L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 juin 2013 est particulièrement instructif pour les rédacteurs de contrats dans le domaine informatique : il rappelle le principe selon lequel la novation ne se présumant pas, la volonté de la MAIF de remplacer le contrat initial par les protocoles signés ultérieurement n’était pas suffisamment exprimée, et ne pouvait se présumer. En clair, les avenants conclus entre les parties pour gérer les aléas d’un projet informatique doivent déterminer de façon très explicite leur positionnement par rapport au contrat de base.

 La Cour d’Appel de Bordeaux, jugeant l’affaire en renvoi, confirme cette position et condamne IBM au doigt mouillé, sans aucune justification, à payer près de 7 millions d’euros.

 Au-delà de ce feuilleton judiciaire, les enseignements à tirer de ces péripéties sont multiples :

 

-          Concernant la dichotomie « client/prestataire » et l’obligation de résultat. En l’espèce le client, muni d’un service informatique compétent et important, avait fortement ingéré dans la gestion du projet par le prestataire. La Cour de renvoi n’en a pas tiré les conséquences pour atténuer la responsabilité du prestataire, au motif que cette ingérence ne constituait pas une cause étrangère ayant la nature de la force majeure, et eût égard à l’obligation de résultat contractée par le prestataire. Illustration navrante des conséquences de cette qualification d’obligation de résultat, si chère aux juristes français, et si éloignée des réalités d’un projet informatique.

 

-          Concernant l’ingénierie contractuelle du projet : elle a été manifestement été défaillante, au vu de la multiplicité des protocoles et des contre lettres rendant pratiquement impossible la détermination a posteriori de la véritable intention des parties. Symptôme d’un manque de vision stratégique courant dans ce type de situation, où opérationnels et juristes ont du mal à communiquer, spécialité très française.

-          Redoutable danger de la construction d’un planning sans degré de liberté, dont le prestataire fait ici cruellement les frais, alors même qu’il n’avait fait que répondre à la demande du client en élaborant un planning ab initio…

 

Cette affaire suscite, entre autres, deux réflexions.

 

L’une est que la méthode dite « agile » est, également, plus intelligente que le forfait sur les projets d’intégration complexes, qui subissent de façon quasi systématique d’importantes dérives liées à la volonté d’enfermer dans un forfait et un délai ce qui ne peut, objectivement, pas l’être.

 L’autre est que notre droit manque dramatiquement de pragmatisme, et qu’il n’est pas bien utilisé dans la rédaction des contrats informatiques, qui gagneraient à réintégrer un peu de vrai bon sens dans leurs rédaction, au lieu de résulter d’un douteux rapport de force de négociation qui tend à faire oublier totalement la réalité du projet.

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Isabelle Renard

Isabelle Renard est ingénieur de formation. Elle a effectué la première partie de sa carrière dans un grand groupe industriel, dont plusieurs années aux...Lire la suite


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Isabelle Renard est membre expert de la FNTC


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Le contrat d’intégration conclu entre IBM et MAIF à fin 2004 était un grand classique du genre : le maître d’œuvre (IBM) s’engage, sur la base d’une « obligation de résultat », à livrer à son client la MAIF une solution intégrée, conforme au périmètre convenu, selon un calendrier fixé et pour un prix ferme.

 Tous les ingrédients du dérapage de projet étaient en germe dès la signature du contrat, puisque le périmètre du projet n’était, en réalité pas arrêté dans le détail : grand classique du genre dans les projets complexes.

 De protocoles en discussions inabouties, les parties ne se mettent finalement pas d’accord sur un nouveau scénario et un nouveau prix et s’assignent mutuellement devant le TGI de Niort, l’une en règlement de ses factures et l‘autre en nullité du contrat pour réticence dolosive pendant la période précontractuelle et réparation du préjudice subi. La Maif obtient gain de cause par un jugement rendu le 14 décembre 2009, dont IBM, condamnée à régler plus de dix millions d’euros, interjette appel. La Cour d’Appel de Poitiers rend le 25 novembre 2011 un jugement en faveur d’IBM et condamnant la MAIF à verser quatre millions d’euros, dont la MAIF se pourvoit en cassation.

 L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 juin 2013 est particulièrement instructif pour les rédacteurs de contrats dans le domaine informatique : il rappelle le principe selon lequel la novation ne se présumant pas, la volonté de la MAIF de remplacer le contrat initial par les protocoles signés ultérieurement n’était pas suffisamment exprimée, et ne pouvait se présumer. En clair, les avenants conclus entre les parties pour gérer les aléas d’un projet informatique doivent déterminer de façon très explicite leur positionnement par rapport au contrat de base.

 La Cour d’Appel de Bordeaux, jugeant l’affaire en renvoi, confirme cette position et condamne IBM au doigt mouillé, sans aucune justification, à payer près de 7 millions d’euros.

 Au-delà de ce feuilleton judiciaire, les enseignements à tirer de ces péripéties sont multiples :

 

-          Concernant la dichotomie « client/prestataire » et l’obligation de résultat. En l’espèce le client, muni d’un service informatique compétent et important, avait fortement ingéré dans la gestion du projet par le prestataire. La Cour de renvoi n’en a pas tiré les conséquences pour atténuer la responsabilité du prestataire, au motif que cette ingérence ne constituait pas une cause étrangère ayant la nature de la force majeure, et eût égard à l’obligation de résultat contractée par le prestataire. Illustration navrante des conséquences de cette qualification d’obligation de résultat, si chère aux juristes français, et si éloignée des réalités d’un projet informatique.

 

-          Concernant l’ingénierie contractuelle du projet : elle a été manifestement été défaillante, au vu de la multiplicité des protocoles et des contre lettres rendant pratiquement impossible la détermination a posteriori de la véritable intention des parties. Symptôme d’un manque de vision stratégique courant dans ce type de situation, où opérationnels et juristes ont du mal à communiquer, spécialité très française.

-          Redoutable danger de la construction d’un planning sans degré de liberté, dont le prestataire fait ici cruellement les frais, alors même qu’il n’avait fait que répondre à la demande du client en élaborant un planning ab initio…

 

Cette affaire suscite, entre autres, deux réflexions.

 

L’une est que la méthode dite « agile » est, également, plus intelligente que le forfait sur les projets d’intégration complexes, qui subissent de façon quasi systématique d’importantes dérives liées à la volonté d’enfermer dans un forfait et un délai ce qui ne peut, objectivement, pas l’être.

 L’autre est que notre droit manque dramatiquement de pragmatisme, et qu’il n’est pas bien utilisé dans la rédaction des contrats informatiques, qui gagneraient à réintégrer un peu de vrai bon sens dans leurs rédaction, au lieu de résulter d’un douteux rapport de force de négociation qui tend à faire oublier totalement la réalité du projet.

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